Jérémie CASSIOPEE


Né à l’époque des conquêtes spatiales, Jérémie Cassiopée a grandi les pieds dans le Sud-Ouest et la tête dans les étoiles, porté par l’imaginaire et le merveilleux, sevré aux contes de Grimm et d’Andersen d’abord puis, plus tard, grâce à la bibliothèque de ses parents, nourri à la prose de Verne, Klein, Bradbury, Matheson et tant d’autres.

Jérémie Cassiopée vit en Angleterre, mais a gardé de solides attaches dans sa région natale où il revient régulièrement.

Chez Madame Veuve Pamphile Chauchepoulet

Nouvelle d'horreur

Chez Madame Veuve Pamphile Chauchepoulet : résumé

Le Pitbull est grand. Le Pitbull est fort. Le Pitbull est sans pitié. Avec lui, tout est propre, net et sans bavure. Il est l’as du cambriolage rondement mené. Il est la terreur des retraités. Un jour, cependant, il tombe sur un os...








ISBN : 978-2-84859-097-4

Édition numérique : 1.99 €
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Chez  Madame Veuve Pamphile Chauchepoulet : extrait

Je m’étais garé pile poil devant la porte de cette maison isolée au fond d’une impasse  de chaque côté, il y avait des bureaux désaffectés aux fenêtres condamnées depuis longtemps. Au-dessus de la sonnette, la plaque piquée par les années disait :

MME VEUVE PAMPHILE CHAUCHEPOULET

J’avais passé plusieurs jours à observer les allées et venues de la vieille. Elle était seule, ne recevait jamais personne, et ses sorties étaient réglées comme du papier à musique. Une bonne aubaine pour le Pitbull.
Le Pitbull, c’est mon nom d’artiste. Un nom gagné de haute main dans des opérations propres, nettes et sans bavures, en tout cas pour votre serviteur. Peu de chance qu’elles reçoivent un jour l’approbation de Monseigneur Lefèbvre, ou d’un autre père-la-morale du même acabit, c’est entendu, mais grâce à elles, j’ai déjà un confortable paquet de biftons planqué sous mon matelas qui n’attend que d’être claqué généreusement, un jour ou l’autre, sur la Côte d’Azur ou en Espagne.
Mon créneau ? Les vieillards de tous poils, seuls et au bord de la sénilité de préférence. Je leur bondis à la gorge comme un molosse, et bien malin qui pourra me faire lâcher. Ensuite, je te les secoue jusqu’à ce qu’ils m’abandonnent ce que je suis venu chercher : économies en liquide, argenterie, objets de valeur. Tremblez, les vieux débris : le Pitbull rôde dans votre quartier…
Et elle tremblait de bon cœur en effet, la vieille, tandis que je l’entraînais devant moi, ouvrant au passage les tiroirs et les portes des meubles du salon et éparpillant sans scrupule sur la moquette linge de table sans valeur, couverts en fer blanc, et une montagne de magazines pour gâtouillards du type Trente millions d’abrutis et Tricote-moi-un-slip-hebdo.
La vaisselle en céramique a suivi gaillardement le même chemin, explosant à l’atterrissage dans un vacarme que, personnellement, je trouvais assez réjouissant.
— Tu la caches où ton argenterie, hein, mémé ? je lui ai crié.
Pas de réponse. La vioque se contentait de me fixer, le visage livide, bredouillant entre ses fausses dents des protestations inaudibles.
Je l’ai empoignée et je l’ai assise de force dans le fauteuil le plus proche. J’ai tiré un jeu de cordelettes de mon sac à dos et je l’ai ficelée sans ménagement aux accoudoirs. Je me suis planté devant elle, jambes écartées, mains sur les hanches, et je lui ai adressé mon rictus le plus abominable.
— J’en ai fait parler des plus durs que toi, crois-moi sur parole.
Une fenêtre  ou quelque chose qui y ressemblait  a claqué quelque part, et j’ai soudain réalisé qu’il y avait une autre pièce à côté, une pièce séparée par une porte à peine entrebâillée. J’ai hésité un instant, et la méfiance l’a emporté. J’ai extirpé de mon sac une de ces machines à effacer le sourire  un solide gourdin de bois  , j’ai soufflé d’un ton mauvais à la vieille bique un « t’as intérêt à la fermer si tu tiens à tes fausses dents, ma beauté », puis je me suis approché de la porte en silence.
S’il y avait quelqu’un de l’autre côté, quelqu’un qui nous espionnait, ça allait barder pour son matricule. J’ai glissé un œil, puis un autre, j’ai ouvert lentement la porte et je me suis détendu : la pièce était aussi vide qu’un livret de caisse d’épargne tombé imprudemment entre mes paluches.
J’ai fait deux pas à l’intérieur et là  pourtant, je pensais en avoir vu d’autres, croyez-moi  , ma machine à effacer le sourire m’est presque tombée des mains. J’ai sifflé entre mes dents.
— Nom de dieu de merde…
Certains auraient appelé cet endroit une foutue cuisine. Moi, j’appelais ça une foutue bizarrerie à mi-chemin entre le bric-à-brac et le labo, un labo pour expériences tordues par-dessus le marché.
Des étagères de bois couraient le long des quatre murs, encombrées de trucs franchement pas nets que je n’avais jamais vus que sur les affiches de ces films pour retardés mentaux. (Ceux qui parlent de ce pignouf à tête de hibou et à la cicatrice d’appendicite entre les deux yeux, vous voyez qui je veux dire ?)
Il y avait là, entassés pêle-mêle, des animaux empaillés (des corbeaux, des chouettes, un couple de rats et même un chat noir), des bocaux en verre contenant des serpents et des crapauds conservés dans du formol (putain ! l’un de ces derniers avait exactement la tête de la vieille rombière à qui j’avais rendu visite la semaine d’avant…), des gros bouquins à la couverture de cuir qui avaient l’air d’avoir trois bons siècles et que Dédé m’achèterait à prix d’or, encore des magazines (de cuisine, de jardinage et même d’astrologie), des baguettes d’encens, des coupes et des cloches en cuivre (ou peut-être bien en laiton), un burin et son marteau, d’autres trucs bizarroïdes impossibles à décrire, et surtout d’innombrables boîtes de métal rondes, du genre de celles où un quidam normalement constitué mettrait son shit ou son sucre en poudre. Je me suis approché pour lire les étiquettes. La plupart étaient en latin, j’ai donc laissé tomber. D’autres, empilées à l’écart, étaient écrites dans notre bon vieux jargon, mais ce n’était guère plus engageant. Os de serpent pilé, disait l’une d’elles. Bordel, qu’est-ce que c’était que ce truc… Pattes de salamandre séchées, disait une autre. Des pattes de quoi ? Et sur la troisième, on lisait quelque chose d’encore plus dingue. Et sur ses voisines, même tabac.
Et s’il n’y avait eu que les étagères : tout le reste était à l’avenant, y compris au centre de la pièce la table ronde en chêne massif qui semblait dater du roi Arthur et de ses douze pétasses à cheval. Un couteau à manche noir  presque un poignard  luisait dans la lumière, planté dans le bois couvert de taches de la table comme un tournevis de prison dans le dos d’un mouchard. (J’ai passé un doigt sur l’une des taches. Que je sois changé en chèvre si ce n’était pas du sang, ça…) Il y avait également une cheminée qui s’ouvrait sur l’un des murs de la pièce, façon gueule de doberman juste avant de te faire la fête, et dans cette cheminée, un chaudron de fonte, un mastoc. De chaque côté du manteau  et partout ailleurs entre les étagères, à bien regarder  étaient suspendus des tableaux aux scènes franchement hallucinantes. Sur l’un d’eux, une espèce de Père Noël hippie chevauchait, tenez-vous bien les gars, un crocodile géant… Un autre tableau représentait le buste d’un mec à trois têtes  une seule étant humaine  , suspendu sur des pattes de tarentule démesurées. Je ne suis pas du genre femmelette, mais cette saloperie m’a presque fichu les jetons. Sur un troisième, qu’est-ce qu’il y avait ? Ah oui : une vioque complètement à poil, aux yeux hagards et aux ailes de chauve-souris. Elle tenait un truc dans les mains, une hache ou une torche enflammée, je ne sais plus trop. Toutes les peintures sans exception portaient un titre, un nom gravé sur une plaque de métal. Certains me disaient vaguement quelque chose : Belzébuth, Méphistophélès ou même Azraël, mais quoi exactement ? Mystère.
Au marché noir, tout ce fatras ne valait sans doute pas un clou, mais s’il y avait eu un prix pour la collection de tableaux la plus dégénérée, celle-ci aurait décroché la timbale sans problème, ouaip, c’est moi qui vous le dis.
Il y avait également un crucifix placé à côté d’une fenêtre aux carreaux étroits. Je ne l’avais pas remarqué tout de suite et pourtant j’aurais dû : il avait été fixé sur le mur tête en bas. La vieille chose avait dû péter un gros paquet de boulons… Je l’ai décroché sans me poser de questions. Je n’ai peut-être pas toutes les qualités, mais je suis bon pratiquant : je vais à l’église dès que j’en ai l’occasion, et si je n’ai aucun scrupule à faucher les portefeuilles de toutes ces vieilles barbes de culs-bénits durant l’office, pas question de tolérer qu’on suspende Jésus-Christ Notre Seigneur par les pieds. Non mais ! J’ai donc décroché le crucifix, et je l’ai fourré aussi sec dans mon sac à dos. L’objet était en argent massif, et je n’aurais aucun mal à le fourguer contre monnaie sonnante et trébuchante. Aide-toi et le ciel t’aidera, ont dit les Évangiles, et s’ils ne l’ont pas dit, c’est du pareil au même.
En sortant de la cuisine, j’ai remarqué pour la première fois le balai massif à poils raides abandonné dans un coin et, juste à côté, la longue cape noire et le chapeau en pointe cabossé accrochés au portemanteau. J’ai fouiné  comme ça, par pur professionnalisme  dans les deux poches de la cape, et je suis tombé sur une longue baguette de bois emmaillotée dans un chiffon. J’ai marqué un temps d’arrêt, et j’ai soudain compris à quoi ma petite mamie  une bonne petite Mamie Nova apparemment sans histoires  passait le plus clair de ses journées…
Cette dernière était toujours solidement ficelée dans le fauteuil de son salon, et quand elle m’a vu revenir vers elle, elle a dû forcément noter mon sourire goguenard. J’ai attrapé son menton entre le pouce et l’index, et je l’ai obligée à lever la tête : trois cheveux désordonnés qui se battaient en duel, des petits yeux dissimulés sous une avalanche de rides, un nez crochu avec une verrue, un menton en galoche… Incroyable ! Cette vieille chouette avait vraiment le physique de l’emploi.
J’ai resserré ma prise, plantant mes doigts dans ses joues maigres.
— Tu m’en avais caché des choses, ma beauté…
J’ai fait pivoter ma main, à droite, à gauche, puis encore à droite, et la tête de la vieille momie a suivi, pivotant bon gré mal gré comme celle d’un minable pantin.
— C’est que c’est une sorcière ça, madame. Ouuuh…. Une TERRIBLE sorcière !
J’avais vu un reportage sur ces Merlins d’opérette un soir que je rendais visite à l’appart d’un couple de vieux richards partis en vacances. Ces illuminés croient réellement  en plein vingt et unième siècle !  qu’ils possèdent des pouvoirs magiques. Ils passent le plus clair de leur temps à se piquer le cul en ramassant des orties, à marmonner des formules sans queue ni tête à la lueur d’une bougie, et le vendredi soir, ils se retrouvent au clair de lune pour partouzer dans tous les coins à la santé de Mère Nature ou du Grand Bouc. Et ma bonne petite mamie en faisait partie !
J’ai essayé un instant de l’imaginer à poil en train de se faire culbuter dans son jardin, avec ses seins ballottant comme des outres vides, mais j’ai vite renoncé : il y a une limite évidente aux horreurs que l’imagination d’un homme normalement constitué peut supporter…
J’ai relâché mon étreinte et je lui ai tapoté la joue, paf paf paf, suffisamment fort pour lui faire venir le sang. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sentais tout à coup d’humeur à la boutade.
— Allez, montre-moi un de tes tours, Carabosse.
Comme la vieille, pour toute réponse, s’obstinait dans son charabia idiot, j’ai eu une idée : je suis allé chercher dans la cuisine l’accoutrement que j’avais repéré en sortant, j’ai flanqué le chapeau sur son crâne déplumé, la cape noire autour de ses épaules, et j’ai débarrassé la baguette du chiffon qui l’emmaillotait  une baguette magique, hein  pour lui coller dans la main.
— Me voici à ta merci, ma beauté. Profites-en. Paralyse-moi, réduis-moi en poussière, ou transforme-moi en petit cochon. C’est toi qui choisis.
Je me tenais planté devant elle, les bras en croix, les yeux fermés, mais… hé ! devinez : rien ne s’est produit. Quand j’ai rouvert les yeux, la vieille avait lâché la baguette et continuait simplement de me fixer de ses petits yeux sombres en marmonnant ses stupides prières.
Je l’ai prise par le col, et j’ai poussé mon poing contre sa carotide. Le chapeau est tombé, et sa gorge a fait un drôle de gargouillis.
— Assez joué, la fripée. Dis-moi où tu caches ton magot, ou tu vas passer un sale quart d’heure.
— Mamie Pamphile, qu’est-ce qui se passe ? a crié une voix dans mon dos.
J’ai virevolté : en haut des marches qui menait à l’étage une gamine de dix à douze ans se tenait, raide comme un piquet, et nous regardait d’un air horrifié.
En pénétrant dans le salon, j’avais bien évidemment remarqué ce foutu escalier, mais j’étais sûr que la vieille vivait seule, et jamais au grand jamais je n’aurais imaginé que quelqu’un pourrait être planqué au premier.
Un chien  un misérable petit nabot  a surgi dans l’entrebâillement et a dégringolé vers moi en jappant.
— Qu’est-ce qui se passe, mamie Pamphile ? a crié de nouveau la môme.
Le clébard, une espèce de croisement entre E.T. et un balai de chiottes de luxe (un de ces foutus chie-dessus à la mords-moi-le-nœud pomponné comme une marquise) me tournait autour, hystérique, cherchant à gnaquer mes mollets. Je lui ai décoché un coup de pied qui l’a cueilli sous le ventre  faut pas le gonfler, le Pitbull !  , et la petite merde a fait un triple salto à travers le salon  kaï ! kaï ! kaï !  avant de s’écraser  splatch !  contre la tapisserie à fleurs sur le mur d’en face. Transformation réussie, hé ! hé ! Prenez des leçons, les travelos du XV de France…
Le chien-chien à sa mémère s’est effondré sur la moquette, ses sales petits yeux roulés vers l’intérieur, les pattes frémissantes comme celles d’un poulet auquel on aurait tranché la tête.
En haut de l’escalier, la gamine a hurlé, hystérique. J’en ai profité pour bondir vers elle, et je l’ai traînée en bas. Il ne m’a pas fallu deux minutes pour la ligoter près de sa mamie Pamphile favorite.

Ce que cachaient les ténèbres 

Roman fantastique d'angoisse


Ce que cachaient les ténèbres : résumé

Sur Mars, dans un futur relativement proche : l’atmosphère est respirable et la colonisation bat son plein. Mais tout n’est pas idyllique, loin s’en faut : entre autres dangers, la Planète rouge est régulièrement traversée par des tempêtes dévastatrices.
C’est dans ce contexte, alors qu’une nouvelle perturbation d’une extrême violence vient d’éclater, qu’une brigade de sauveteurs est appelée sur une intervention : une explosion a eu lieu sur l’unité Planète-Bleue, il faut retrouver les survivants avant qu’il ne soit trop tard. S’il n’y a plus rien à faire pour le responsable de l’unité, son jeune fils Camille, en revanche, est récupéré dans des conditions miraculeuses. Un peu trop miraculeuses, peut-être…
La tempête continue de sévir, les sauveteurs sont coincés sur place, condamnés à attendre la fin des intempéries. Un par un, mystérieusement, ils disparaissent.
Ce que cachaient les ténèbres est une mise en scène de l’alchimie secrète du libre arbitre.

ISBN : 9782848590240
Édition imprimée : 18.00 €
Édition numérique : 7.99 €
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Lire la critique de Lire ou mourir


Ce que cachaient les ténèbres : extrait

On peut dire que vous m'avez surpris.
- Surpris à faire quoi ?
- Monsieur Camille m'a demandé de mettre de côté des articles qu'il souhaite montrer demain matin avant de partir à l'un de vos collègues.
- Ah bon ?
- Oui. À monsieur Vo-Din... qui semble manifester beaucoup d'intérêt pour les talents artistiques de Monsieur Camille.
Le robot entreprit de plier soigneusement le costume et le rangea dans une grande caisse de plastique.
Solange s'approcha.
- Dis donc, Andro, tu t'es bien fichu de moi.
- Que voulez-vous dire ?
- Tu le sais très bien. J'ai appris que tu avais élaboré le système d'ouverture de la porte, au sous-sol.
L'androïde haussa ses sourcils factices dans un air d'innocence parfaite.
- Je dois reconnaître que j'y ai contribué, mais cela ne signifie pas que je puisse entrer dans la pièce, croyez bien que j'en suis désolé.
- Vraiment ?
- J'ai utilisé un programme d'Athéna pour prendre l'empreinte tactile des deux mains de Monsieur Pierre et la coupler à un code d'accès aléatoire que j'ignore moi-même. Le père des enfants était donc le seul à connaître cette combinaison et à pouvoir la composer sur le clavier.
Solange réfléchit un instant.
- Et si tu interviens directement sur le programme pour annuler les paramètres existants et générer un nouveau code d'accès ?
- Sans posséder la combinaison secrète en cours autorisant la modification, je ne saurais vous dire si c'est possible, mademoiselle Solange.
- Il n'y a qu'en essayant qu'on le saura, non ?
- De toute façon, un autre problème se présente. Le programme d'élaboration de la combinaison a été codé par la suite par Monsieur Pierre.
- Effectivement, j'ai cru voir quelque chose comme ça sur l'écran de contrôle cet après-midi.
- Et malheureusement, ce programme est indéchiffrable.
- Importe des logiciels de décryptage.
- Athéna est protégée contre les téléchargements non autorisés, j'en ai bien peur.
- Tu n'as qu'à travailler sur ton propre système interne.
- Athéna est également protégée contre les exportations illicites, j'ai le regret de vous en informer. Elle ne m'autorisera pas à copier le programme à décrypter sur mon propre disque dur.
La patience de Solange, déjà sérieusement ébranlée, déclara forfait.
- Tu te fous de moi ou quoi ? Je suis sûre qu'entre mange-courant, vous allez vous entendre à merveille. Trouve un moyen. En t'y mettant maintenant, tu peux y arriver. Allez.
- Je vous demande pardon ?
- Tu m'as très bien entendue. Tu vas te connecter à Athéna. Tu décryptes le programme qui a généré la combinaison, tu te débrouilles pour changer les paramètres de protection de cette fichue porte et tu nous l'ouvres.
Les traits de l'androïde se recomposèrent en une expression attristée.
- J'aimerais ardemment vous aider, soyez-en sûre. Mais puis-je vous rappeler le second principe amendé des lois de la robotique ? Un robot est au service des humains dans la limite de ses attributions. Celles-ci se limitent au bien-être des deux enfants et à leur éducation. Je ne suis pas habilité à violer la propriété d'autrui, en particulier celle de Monsieur Pierre. Avec mes regrets. À présent, si vous voulez bien m'excuser...
L'être artificiel empoigna la caisse pleine jusqu'au bord et, passant devant Solange, s'engagea vers la sortie. L'exaspération de la jeune femme atteignit son comble. Elle lança sa jambe et poussa l'insolent d'un violent coup d'épaule. Le robot bascula vers l'avant, renversant la charge dont une partie du contenu se répandit sur le sol. Lui-même s'écrasa lourdement dans la poussière, face la première. Il se retourna, prenant appui sur ses coudes pour tenter de se redresser, mais Solange le saisit à la gorge.
L'androïde fixa Solange de ses yeux de céramique et, à l'image d'un appareil photo cherchant la bonne ouverture, ses deux pupilles sans éclat prirent dans un discret bourdonnement la mesure de la situation. Il leva la main et attrapa le poignet de la jeune femme.
- Je pourrais facilement vous briser les os.
- Mais tu ne le feras pas. Principe premier : Un robot ne peut porter atteinte à un être humain. Tu vois, moi aussi je les connais tes foutues lois.
Solange plongea ses doigts dans le cou de latex de l'être artificiel.
- Je sens tous ces fils sous ta peau. Qu'est-ce qui se passerait si je tirais d'un coup sec ?
- Je vous sens vraiment contrariée, mademoiselle Solange.
- Sans blague ? Tu vois ça à quoi ?
- Vous ne devriez pas. Je ne réagis qu'en fonction de ma programmation.
- Ah ouais ? Alors écoute-moi. Ta programmation sert l'intérêt des enfants, on est d'accord. Mais qui est responsable d'eux ?
- Monsieur Pierre était leur père.
- Il est mort, au cas où tu l'aurais oublié. Donc, quelle est l'autorité en charge, dans la situation présente ?
- La brigade des sauveteurs.
- Et qui est à la tête de la brigade ?
- Vous, mademoiselle Solange.
- Eh bien, voilà ! On avance ! Conclusion : Je suis légalement responsable des enfants, et tu es tenu de m'obéir. Tu vas faire ce que je te dis et décrypter ce foutu programme.
L'androïde prit le temps d'enregistrer l'argumentation et d'en vérifier plusieurs fois la justesse, puis il acquiesça lentement.
- Je ferai comme vous voudrez, mademoiselle Solange.
La jeune femme sentit la pression s'évacuer. Le mal de tête qui était revenu, insidieux, reflua. Elle se redressa, satisfaite, et le robot fit de même.
- Vous n'aviez pas besoin de faire preuve de violence, se plaignit ce dernier en chassant de la main la poussière déposée sur le revêtement couleur cuivre de ses jambes.
Mais la jeune femme resta péremptoire.
- Nasdine parlait de plusieurs jours de boulot. À toi et tous tes neurones en toc, je vous laisse jusqu'à demain matin. Maintenant, bouge-toi.
L'androïde, soumis à l'autorité de sa nouvelle maîtresse, s'exécuta docilement et disparut dans le couloir de son allure ankylosée.
Solange laissa échapper un profond soupir. Elle redressa la caisse de plastique qui gisait renversée, puis son regard se promena sur le contenu éparpillé sur le sol. Quelque chose avait roulé sous la table. Une tête de latex. La jeune femme se pencha pour la ramasser. C'était un masque au faciès boursouflé et à la crinière poisseuse ; une véritable vision de cauchemar au réalisme saisissant. Elle l'étudia un instant puis pressa un bouton qu'elle avait senti sous ses doigts derrière la nuque écailleuse. La mâchoire de prédateur s'anima, se déboîtant et se développant vers l'extérieur comme pour saisir la gorge de celle qui, un air de répulsion sur le visage, osait se tenir à sa portée.

Par-dessus le grondement de la tempête, un long grincement métallique alerta Solange quand elle sortit de l'atelier, un bruit qu'elle reconnut aussitôt. Une vérification bien sûr s'imposait. Longeant deux des couloirs sombres qui coupaient le niveau zéro en quartiers, elle contourna la cage d'escalier centrale qui menait à l'étage et tourna au bout du second couloir. Elle s'avança dans la galerie circulaire : au pied de la lourde trappe ouverte pesant contre le mur, béait le trou noir de l'accès au sous-sol.

Augusta faisait face à la porte infranchissable comme on toise un adversaire avant le combat. Au frottement des pas sur les marches de pierre, elle tourna un instant la tête vers la silhouette en contre-jour qui descendait vers l'obscurité.
Solange vint rejoindre sa collègue et les deux sauveteurs restèrent ainsi, silencieuses, la lumière de leurs torches se promenant lentement sur la surface austère de la porte verrouillée.
- Quand je pense que José et Enrico sont à un mètre de nous dans cette putain de pièce, ragea Augusta.
- Avec un peu de chance, on saura ce qu'elle cache avant notre départ. J'ai mis l'androïde au boulot.
Solange tendit le bras et pianota distraitement sur le clavier mural.
- Il doit nous trouver le code d'accès.
- Et si ça ne marche pas ?
- Les gars du G2R finiraient par trouver un moyen, évidemment. Mais je préfère qu'on n'ait pas à attendre qu'ils interviennent. L'idée que les deux copains soient là-dedans sans qu'on puisse rien faire me dégoûte autant que toi. Il faut que je sache ce qu'il y a derrière cette porte. Vite.
Augusta parut soudain indécise.
- Écoute, patron, je peux te confier quelque chose ? finit-elle par demander.
- Vas-y.
- Je sais où l'autre givré avait trouvé de quoi faire sauter la bulle de maintenance.
Elle tira un pain de gomme de couleur claire de sa poche.
- J'en ai trouvé plein. Un véritable arsenal.
Solange prit l'explosif des mains de sa compagne, le palpa et le renifla. Un nom s'accrocha immédiatement à sa texture grasse et son odeur de gomme caractéristique.
- Je n'arrive pas à le croire. C'est de l'hyperhexocire, un plastic sacrément puissant.
- C'est entreposé au-dessus, dans la remise aux produits dangereux. Comme Nasdine avait fait ouvrir toutes les portes automatiquement quand on cherchait Enrico, j'ai pu entrer.
- Il faut être malade pour conserver ça dans un lieu d'habitation. C'est contre toutes les règles de sécurité.
- Je me disais, s'il n'y avait pas d'autres moyens pour ouvrir la pièce...
- Et si les copains sont juste derrière la porte ? observa Solange. Ça risque de faire plus de mal que de bien, tu sais.
Elle réfléchit puis ajouta :
- Où est-ce que tu dis que tu as trouvé ça, déjà ?


Chapitre XXIV

Sous un ciel noir constellé transpercé par le vent, l'éclat des deux petites lunes cabossées de Mars vacillait comme la flamme frêle d'une bougie. La tempête continuait son travail de sape, chargeant l'air de nuées hystériques de projectiles qui surgissaient de la nuit pour fondre comme des insectes rendus fous sur les baies vitrées de la bulle résidentielle Oasis.

Solange avait éteint la lumière. Assise dans l'un des sofas de l'espace salon, elle regardait la fumée de sa compagne des mauvais jours flotter en volutes dans la pénombre de la salle commune. Une silhouette se matérialisa et se dirigea vers l'équipement des sauveteurs posé en tas au milieu de la pièce.
- Qui va là ?
L'ombre sursauta et se retourna.
- Bon Dieu, c'est toi. Tu m'as flanqué la trouille ! s'exclama Augusta.
- Toi non plus, tu n'arrives pas à dormir, on dirait.
- Non. Mais le doc m'a dit que je trouverais des tablettes dans sa pharmacie. Pourquoi tu restes dans l'obscurité ?
- Ça m'aide à réfléchir.
Augusta ouvrit un sac et, après une fouille rapide, en tira une boîte plate. Elle s'approcha de la jeune femme et lui présenta les comprimés.
- Prends-en un, ça t'aidera à passer la nuit.
Solange expira un panache de fumée blanchâtre et anéantit le foyer rougeoyant de son mégot.
- Je préfère éviter.
- Comme tu veux, patron, répondit Augusta en prenant ses aises dans le sofa.
Solange saisit une nouvelle cigarette puis tendit son paquet à sa collègue qui se servit également. La lueur vive du briquet posa sur chacun de leurs deux visages aux traits éprouvés un éclairage sans concession.
- Tu crois qu'on va pouvoir ouvrir la porte avant de partir alors ? demanda Augusta.
- Je vais tout faire pour.
- Moi je dis que s'il n'y a pas d'autre moyen, une bonne charge d'explosif peut faire le travail.
- Je suis allée voir la réserve de plastic dont tu m'avais parlé, à propos. Il y a de quoi faire sauter la moitié du canyon effectivement.
- Et Sirtakos, qu'est-ce qu'il compte faire ?
La jeune femme hésita.
- Je n'en sais rien. Je ne l'ai pas encore appelé, en fait.
Augusta en demeura bouche bée.
- Il ne sait pas encore pour José ?
Solange attrapa le combiné qui luisait sur la table basse et le manipula pensivement.
- Non. Je comptais l'appeler maintenant. Enfin, dans un moment.
Son interlocutrice se contenta de hocher la tête et les deux femmes, sans mot dire, réduisirent leur cigarette en cendres. Augusta se déplia.
- Bon. Je crois que je ferais mieux d'y aller. Bonne nuit, patron, à demain.
Dans la galerie, les pas du sauveteur s'estompèrent et Solange retrouva la plainte lancinante du vent comme seul compagnon. Elle embrasa une troisième cigarette et se résolut à activer le transmetteur.

" Vous avez cinq nouveaux messages holographiques, annonça la voix nasillarde de l'appareil. Voulez-vous les consulter ? "
Solange répondit par l'affirmative.
" Message un à seize heures cinquante-huit ", déclama la voix. Coincée entre le mur et la table basse, l'image en relief d'un capitaine Sirtakos morose apparut. " Bon alors, où en êtes-vous Fortitude ? Quelles sont les nouvelles pour Santini ?

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